dimanche 24 février 2008

Montaigne de Stefan Zweig

« (…) En de telles époques où les valeurs les plus hautes de la vie, où notre paix, notre indépendance, notre droit inné, tout ce qui rend notre existence plus pure, plus belle, tout ce qui la justifie, est sacrifié au démon qui habite une douzaine de fanatiques et d’idéologues, tous les problèmes de l’homme qui ne veut pas que son époque l’empêche d’être humain se résument à une seule question : comment rester libre ? Comment préserver l’incorruptible clarté de son esprit devant toutes les menaces et les dangers de la frénésie partisane, comment garder intacte l’humanité du cœur au milieu de la bestialité ? Comment échapper aux exigences tyranniques que veulent m’imposer contre ma volonté l’Etat, l’Eglise ou la politique ? Comment protéger cette partie unique de mon moi contre la soumission aux règles et aux mesures dictées du dehors ? Comment sauvegarder mon âme la plus profonde et sa matière qui n’appartient qu’à moi, mon corps, ma santé, mes pensées, mes sentiments, du danger d’être sacrifié à la folie des autres, à des intérêts qui ne sont pas les miens ?

C’est à cette question et à elle seule que Montaigne a consacré sa vie et sa force. C’est pour l’amour de cette liberté qu’il s’est observé lui-même, surveillé, éprouvé et blâmé à chacun de ses mouvements et chacune de ses sensations. Et cette quête qu’il entreprend pour sauver son âme, pour sauver sa liberté à un moment de servilité universelle devant les idéologies et les partis, nous le rend aujourd’hui plus fraternellement proche qu’aucun autre artiste. Si nous l’honorons et l’aimons plus que tout autre, c’est qu’il s’est adonné comme personne d’autre au plus sublime art de vivre : « rester soi-même ». »

Stefan Zweig écrit Montaigne à Pétropolis au Brésil peu de temps avant son suicide le 23 février 1942. Il notait dans sa lettre d’adieu :

« Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit. Moi, par trop impatient, je les précède ».

Hier mes deux amies m’ont "élevée", l’une en me racontant sa visite du Château de Montaigne et sa lecture de ce Montaigne, l’autre en me faisant partager son univers intellectuellement exceptionnel.

Les Essais débutent par un récit dans lequel Montaigne évoque Limoges et le siège de 1370.

"La plus commune façon d'amollir les coeurs de ceux qu'on a offensés, lorsqu'ayant la vengeance en main, ils nous tiennent à leur merci, c'est de les émouvoir par soumission, à commisération et à pitié : Toutefois, la braverie, la constance et la résolution, moyens tout contraires, ont quelquefois servi à ce même effet.

Edouard Prince de Galles, celui qui régenta si longtemps notre Guienne : personnage duquel les conditions et la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur ; ayant été bien fort offensé par les Limosins, et prenant leur ville par force, ne put être arrêté par les cris du peuple, et des femmes, et enfants abandonnés à la boucherie, lui criant merci, et se jetant à ses pieds : jusqu'à ce que passant toujours outre dans la ville, il aperçut trois gentilshommes Français, qui d'une hardiesse incroyable soutenaient seuls l'effort de son armée victorieuse.

La considération et le respect d'une si notable vertu reboucha premièrement la pointe de sa colère : et commença par ces trois, à faire miséricorde à tous les autres habitants de la ville. (...)"






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