lundi 11 août 2008

Albert Camus



« J’ai résumé l’Etranger, il y a très longtemps, par une phrase dont je reconnais qu’elle est très paradoxale : Dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère risque d’être condamné à mort. Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu’il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c’est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l’on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple, il refuse de mentir. Mentir, ce n’est pas seulement dire ce qui n’est pas. C’est aussi, c’est surtout dire plus que ce qui est et, en ce qui concerne le cœur humain, dire plus qu’on ne sent. C’est ce que nous faisons tous, tous les jours, pour simplifier la vie. Meursault, contrairement aux apparences, ne veut pas simplifier la vie. Il dit ce qu’il est, il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt la société se sent menacée. On lui demande par exemple de dire qu’il regrette son crime, selon la formule consacrée. Il répond qu’il éprouve à cet égard plus d’ennui que de regret véritable. Et cette nuance le condamne.
Meursault pour moi n’est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d’ombre. Loin d’être privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace, l’anime, la passion de l’absolu et de la vérité. Il s’agit d’une vérité encore négative, la vérité d’être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi ne sera jamais possible. On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant dans l’Etranger l’histoire d’un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. »
Albert Camus. Préface à l’édition américaine.

Ce texte est lumineux et j’avais besoin de le relire. Je suis allée sur la tombe de Camus à Lourmarin et je l’ai trouvée belle avec ses lavandes qui poussent partout. Combien d’hommes cet homme a-t-il aidé à vivre ?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Belle photo, belle lumière sur la tombe de Camus. La préface est superbe et révélatrice pour les jeunes lecteurs.
(Savez-vous pourquoi ces lavandes?)
Je repense au lierre qui couvre et unit les tombes des frères Van Gogh à Auvers-sur-Oise - ne cherchez pas le rapport.

Racine a dit…

Bonsoir Tania,
Quel plaisir de voir votre réaction à ce magnifique texte de Camus. Il me touche particulièrement actuellement.
Je ne peux pas vous répondre pour les lavandes, ont-elles poussé là par hasard ? Est-ce volontaire ? La tombe est normalement entretenue, je suppose, je ne sais pas s'il faut y lire un signe ?
Je vois un rapport avec votre remarque sur le lierre qui unit les frères Van Gogh, les plantes et les fleurs qui recouvrent les tombes, j'ignorais ce fait, je ne suis jamais allée à Auvers-sur-Oise, vous m'apportez donc cette information que je trouve très touchante.
A bientôt
Racine

Anonyme a dit…

Même si Camus est le plus souvent associé à "L'étranger", je préfère retenir de lui sa prise de position contre les bombardements sur le Japon.